-
Madeira mysteriosa
Comme je ne connaissais rien de Madère, j'y suis allé faire un tour. Il faut dire que celle qu'on appelle l'île aux fleurs, le jardin ou encore le Hawaii de l'Atlantique, avait de quoi m'attirer sous son climat subtropical très doux toute l'année.
A première vue, juste après "verdoyant", le meilleur adjectif qui sied à l'endroit est "vertigineux" ; pas 2 km sans croiser une falaise de plusieurs centaines de mètres de haut. Les routes sont accrochées comme elles peuvent à flanc de montagne et sont parsemées d'éboulis, voire de chutes d'eau qui nettoient la voiture. Quand il pleut, il tombe des gouttes et parfois des cailloux, ce qui invite à la prudence. Les montagnes sont quant à elles percées de mille tunnels impressionnants, dont la réalisation a du bien occuper le temps libre de pas mal de générations de madérois, qui n'ont donc probablement pas pu beaucoup surfer jusqu'à aujourd'hui.
A l'exception de quelques sommets (plus de 1800m quand même), il ne gèle ni ne fait jamais très chaud ici, et il pleut presque tous les jours (surtout au Nord). Il en résulte une végétation luxuriante et étonnante par sa diversité : les champs de canne à sucre ou de bananiers peuvent être bordés de ronces ou d'hortensias comme chez nous ! On est vraiment à mi-chemin entre la Normandie et les Caraïbes ; Madère pourrait presque être considérée comme "les Antilles portugaises".
La plupart des coteaux ont été aménagés en restanques qui me rappellent mon jardin de Diélette en infiniment plus grand...
Avec son relief escarpé et sa végétation variée et abondante, Madère est un paradis pour randonner. Les points de vue somptueux sont la norme, et il y en a pour tous les goûts et pour tous les niveaux.
Les passionnés d'escaliers en tous genres seront sans nul doute rassasiés. Certaines randonnées comptent des milliers de marches ; ça détend les genoux. D'ailleurs, la spécialité locale c'est les marches arrondies (photo de gauche), qui me conquièrent totalement ; maintenant c'est ça que je veux à la maison !
Et si on n'aime pas les dénivelés, on peut marcher des heures dans des coins merveilleux le long des levadas, ces canaux horizontaux
creusés dans la montagne pour irriguer l'île (décidément, je crois que les madérois adorent creuser la roche sur des kilomètres)
La nature est généreuse, et en cherchant un peu on peut trouver pas mal de fruits sauvages (ici un maracudja banana) ou encore des lapas, cousins de nos patelles (chapeaux chinois), qu'on mange cuits, ou crus, tout juste décollés du rocher.
Parmi les innombrables panoramas remarquables, il ne faut pas rater le Cabo Girao, un des plus hauts belvédères de la Planète. On peut marcher sur le sol transparent, à 580m au-dessus du vide, soit presque 2 fois la tour Eiffel. En plus, le balcon bouge quand quelqu'un marche un peu fort dessus ; sensations garanties ! En dessous, encore une belle vague, ce qui ne gâche rien au spectacle...
La côte Nord, ombragée par les falaises et arrosée par les nuages bloqués par les montagnes, semble plus austère que la côte Sud, mais reste grandiose et sauvage
La Ponta de Sao Lourenço, extrémité Est de l'île, est plus aride, balayée par les vents et les embruns. Parfois, il faut avoir aveuglément confiance quand on se lance dans un chemin étroit entre deux falaises friables (1ere photo)
Petite balade au jardin botanique de la capitale, Funchal...
Par sa situation géographique et sa topographie sous-marine, Madère reçoit la plupart des houles de l'Atlantique et les maximise à leur arrivée ; le tout sans pâtir trop du vent, ce qui nous amène au chapitre suivant ...
Madère, Hawaii de l'Atlantique !
Il n'y a pas de plage de sable à Madère. Voilà, c'est dit ! Surfeurs débutants s'abstenir, donc. Je ne savais même pas si j'allais pouvoir surfer en venant ici, tant la réputation des vagues de l'île inspire le respect, voire la crainte. On trouve quelques coins de magnifique sable noir, mais toujours entourés de cailloux. Pour la simple baignade, certaines communes ont aménagé des piscines d'eau de mer plus ou moins naturelles selon les endroits, et c'est parfois assez joli. Ici à Porto Moniz, avec des vagues de 6 mètres juste dessous...
Le petit port de Paul Do Mar...
Sur pratiquement tous les spots, la mise à l'eau (autant que la sortie) est très technique ! Heureusement, les fonds sont certes rocheux et très glissants, mais pas coupants. Sueurs froides garanties quand même !
Héhéhéhéhé, vision de rêve comme dans les magazines :)
Paul Do Mar dans le fond, Punta Pequena au premier plan, le tout vu depuis légendaire spot de Jardim Do Mar
Seule la moitié des spots s'avère suicidaire. Et encore, pas tous les jours ! Je tombe même sur une vague de 80cm sur fond très plat et sableux. Le reste du temps, c'est 2m minimum, pleine puissance océanique, et rochers. L'avantage des fonds rocheux, c'est la transparence et la couleur de l'eau qui peuvent devenir magiques.
Clin d'oeil à ceux qui aiment le gros shorebreak et les cailloux ;)
... Ou à ceux qui préfèrent la perfection absolue (ce jour là, j'ai beaucoup regretté d'avoir trop d'instinct de survie (plus prosaïquement pas assez de c...) pour aller surfer seul ce 4m bleu et lisse digne d'un rêve...)
Un autre spot semi-suicidaire bien connu ici, dans son décor dantesque...
Jardim Do Mar
Jardim Do Mar (le jardin de la mer), est un joli et tranquille village coincé entre mer et falaise. Le temps y semble figé et les ruisseaux coulent imperturbablement dans les plantations de bananiers. Mais Jardim, c'est aussi LE spot de Madère ; celui qui fait la réputation des grosses vagues de l'île et qui attire les surfeurs des 4 coins du globe.
On dit qu'il faut au moins 2m pour que ça commence à devenir surfable, et 3m pour commencer à être à distance raisonnable des cailloux. Ici, plus c'est gros, plus tu es en sécurité, voilà le paradoxe. A marée haute, le spot devient très dangereux depuis que le magnat local du béton a décidé de protéger la digue avec de gros cubes dans lesquels on ne souhaite à personne de se retrouver coincé alors qu'une série déferle.
Pour entrer et sortir, il vaut mieux passer par le Portinho (petit port) ; ça n'a pas l'air comme ça, mais c'est la solution la moins dangereuse !
Comme sur la plupart des spots de gros, tant qu'il n'y a personne à l'eau pour donner une échelle, ça a l'air petit et facile... Un si beau bleu ne peut d'ailleurs sûrement pas cacher de danger, si ?
Mais dès que quelqu'un prend une vague, alors on se met finalement à hésiter à le rejoindre ! Voici à peu près la taille minimale raisonnablement surfable pour Jardim. Du "small wave riding" pour les locaux.
La vague est vraiment massive et sauvage, bien plus puissante qu'elle n'en a l'air, et comme souvent sur ce genre de spot, il faut s'attendre à voir surgir à tout moment de nulle part des séries surprises bien plus grosses que les autres. Et tout le monde raconte que ramasser une série sur la tête ici est une épreuve : de longs moments sous l'eau, des canards nombreux et éprouvants, et les rochers du bord qui se rapprochent dangereusement à chaque nouvelle vague qui vous engloutit. Vraiment de quoi réfléchir avant de s'y jeter !
Et quand Jardim se réveille vraiment, les big wave riders du monde entier débarquent pour rejoindre les locaux les plus intrépides, armés de gilets de flottaison anti-impacts et de gros guns.
Jardim on fire ! Le Paradis pour certains, l'Enfer pour d'autres
Le dernier jour, quelques heures avant l'avion, je suis déçu de quitter Madère sans avoir eu le courage de me mettre à l'eau à Jardim. Mais une équipe de surfeurs débarque et l'un d'eux me lance un "it's much smaller than yesterday ; no good", je lui rétorque alors en riant un "but maybe good for me" plein d'espoir. Ce que je ne sais pas à ce moment, c'est que le gars qui vient de me dire que c'est trop petit est Greg Long, légende vivante du gros surf. Certes, il n'y a plus les montagnes d'hier, mais encore des séries à presque 4 mètres qui m'invitent à rester confortablement au sec pour prendre des photos. Puis un local sympa, voyant mon hésitation, m'invite à y aller, tout en enfilant son gilet anti-impact. Et puis zut ! Je décide au moins de ramer près du peak ; ce sera déjà une grande victoire, et même si je ne prends pas de vague, j'en sortirai grandi, et pourrai prendre l'avion sans regret.
Pas encore si petit en ce dernier jour (ci-dessus et dessous)...
Une fois au large, je ne fais pas le malin ! L'ambiance au peak est super décontractée (sauf pour moi qui suis tendu comme un string et tremble comme une feuille morte), et les gars m'invitent à m'approcher de la zone d'impact que j'évite d'abord soigneusement, terrifié par l'arrivée possible d'une énorme série surprise. J'hallucine à chaque fois que l'un de ces gladiateurs arrive au bottom sur une vague qui fait 3 ou 4 fois sa taille, à juste 10 mètres de moi.
Et à force de m'approcher, je finis même par trouver la mienne, pas une des plus grosses du jour certes, mais de ma Vie probablement. Je ne comprends pas vraiment pourquoi je rame dessus et ne sais pas ce qui m'attend au take-off, mais une fois que j'ai décidé de la prendre, plus rien n'existe ; le temps s'arrête et il faut foncer. Vertigineux ! Et plus facile que je ne l'imaginais. Il faut dire que la puissance et la perfection de la vague la rendent facile à lire et à prendre... Elle est très longue et me ramène près du Portinho où j'en profite pour sortir de l'eau sans insister plus, déjà fier d'être allé au peak, heureux d'avoir même pu prendre une vague, et soulagé de ressortir indemne de cette terrifiante arène !
Cerise sur le gâteau, Jorge, mon pote local me dit qu'à l'eau avec nous, il y avait Greg Long, Rusty Long, et Grant "Twiggy" Baker, tous les trois héros de la scène internationale du big wave riding. C'est la classe de partager une session avec ces gars là sur un spot d'une telle renommée
Bon, je ne devrais pas casser mon effet comme ça, mais pour être honnête, ces big wave riders ne sont pas venus d'Amérique et d'Afrique du Sud pour le mini clapotis insignifiant de 4m maximum qui me terrifie ce matin, mais bien pour les 6, 8, 10m, ou plus, qui sont attendus demain, et que je ne verrai hélas pas...
Une belle aventure. De merveilleux paysages, un climat doux un peu pluvieux peut-être, une végétation exubérante, des randonnées pour tous les jours, des îliens portugais un peu austères mais très gentils, des vagues idéales pour se dépasser, Madère est pour moi la soeur Atlantique de l'île de la Réunion, mais sans les attaques de requins
La destination idéale pour revenir un jour en voilier, qui sait ?
-
Commentaires