On se croirait-y pas en Normandie ?

Le carnaval ici c'est d'innombrables défilés musicaux et colorés tout le mois de Février !

A Marie Galante, on est coupé du Monde. On est de fait loin de tout et les repères disparaissent. Même internet, qui fait partie intégrante de notre quotidien métropolitain, redevient accessoire. Le sevrage est d'ailleurs difficile. Il faut réapprendre à ne rien faire, à attendre, flâner et penser à tout comme à rien. Les premières semaines, on passe même par des étapes presque angoissantes, à regarder l'heure régulièrement en se demandant comment survivre à l'ennui ; même pas un e-mail à traiter ou une vidéo à regarder, pas une musique à écouter ni une soirée à passer entre amis. Le néant occupationnel.

En bref, on vit ici dans ce que le monde occidental a défini comme la parfaite hérésie, puisque qu'on nous a inculqué que « le travail c'est la santé, et le temps, de l'argent ». En métropole, on file, on vole, on ricoche de projets en obligations, et la vie défile telle un tapis roulant à grande vitesse, par lequel il n'y a qu'à se laisser porter. Pas de réelle nécessité de s'y demander qui l'on est ou ce que l'on veut ; il suffit de suivre l'autoroute de la vie ; pilotage automatique, et hop, pas forcément besoin de trop réfléchir. Pas le temps ni le courage d'ailleurs, peut-être.

Ici, on a du temps à perdre et il faut apprendre à l'accepter. Ce petit Paradis turquoise et tranquille peut rapidement devenir la prison de celui qui ne sait au contraire pas lâcher prise.

Un métropolitain qui habite ici depuis 32 ans m'a dit « à Marie Galante, le temps ne court pas, et tu as intérêt à bien t'entendre avec toi-même, car ici, c'est avec toi-même que tu auras le plus le loisir de discuter ! ». Tout un programme.

En fait, il règne un fond d'atmosphère étrange ici. Il y a comme une incommensurable inertie de la tranquillité, comme si le temps était figé et que rien ne pouvait être changé.

J'ai le sentiment que vivre à Marie Galante, c'est accepter d'être insignifiant, de ne pas avoir de rôle à jouer dans l'univers. C'est se contenter de vivre au sens premier du terme, dans le microcosme d'une île sans lien avec le reste du Monde. A Marie Galante, l'Homme n'est pas une entité à résonance planétaire ; il est un simple animal social dans son écosystème local, hermétiquement délimité par la mer.

Ici, on ne sent pas de pression liée à la pollution, à la surexploitation des ressources naturelles, aux problèmes économiques mondiaux. Il y a des problèmes, bien sûr, mais des problèmes marie galantais seulement. Ici on ne regarde pas TF1 ni Arte, et on ne veut surtout pas entendre parler des questions aux enjeux planétaires. Si on recycle, ce n'est pas pour sauver le Monde, c'est pour préserver Marie Galante.

Ici, pas d'Apocalypse prochaine ; pas de Djihad, pas de réchauffement climatique, pas de crise, pas de baleines mortes par milliers. Juste de petites vies et de petites histoires. Rien que du palpable, de l'accessible et du concret. Conséquence directe, les gens vivent avec une bonne dose de stress en moins que nous !

Accepter d'être à Marie Galante, c'est accepter de ne plus faire partie du reste du Monde, comme si l'île vous avait avalé, digéré, et intégré.

Marie Galante l'hommenivore, quoi.

D'ailleurs, les métropolitains venus véritablement s'installer ici ne retournent bien souvent jamais plus en métropole ; ils ne sont plus français, ils sont profondément et irréversiblement devenus marie galantais, ce qui n'a absolument rien à voir.

Dans cet improbable ailleurs , j'arrive quand même à trouver ma place et à m'occuper agréablement ! Quand je suis en short t-shirt sur la plage à la tombée de la nuit, j'avoue que j'apprécie encore davantage d'être ici lorsque je vous entends évoquer au téléphone le temps glacial qu'il fait actuellement chez nous.

Le surf se diversifie et j'ai pu explorer quelques nouveaux spots. Partout, la caye guette sournoisement et la prudence est de mise ; les contacts sont parfois inévitables. Il paraît qu'à cause de ça, la vie d'une planche, et surtout celle d'un aileron, est courte ici.

D'après les locaux, c'est la meilleure période surf qui commence, avec des vents plus faibles et une eau qui se réchauffe doucement. Mais en réalité, je vois mal comment l'eau pourrait devenir meilleure que maintenant !

Et c'est vrai que la semaine passée nous a gratifiés de quelques très belles sessions, durant lesquelles le clapot a enfin daigné laisser la place à quelques murs bien lisses ! Ca reste plutôt mou et technique, mais offre largement de quoi s'éclater chaque matin et chaque soir, dans une eau toujours aussi magnifique.

Le spot des Basses dans ses meilleurs jours (le meilleur jour en vérité) :

On remarque vite que les blancs et les créoles se mélangent peu et ne partagent pas forcément les mêmes activités. En mer par exemple, je n'ai vu aucun créole surfer, tout comme je n'ai vu aucun blanc monter sur un bateau de pêche. Le racisme est discret mais semble profondément ancré dans les moeurs ; les "couples dominos" (blanc/noir) sont par exemple d'autant plus rares qu'ils sont très mal acceptés.

Je randonne un peu dans la silencieuse forêt. Les balades donnent l'occasion de mieux rencontrer la population, et là encore, le dépaysement est radical.

Dans les coins les plus reculés, les paysans parlent bien souvent très peu français, et lorsqu'ils vous croisent à pieds comme en voiture, beaucoup vous saluent amicalement d'un geste de la main.

Le rhum à 59° fait des ravages et il faut quand même se méfier des rencontres dans les coins trop paumés ; on croise des mecs salement amochés par l'alcool, le cannabis et le crack, mélange détonnant qui peut rendre certains très violents. J'évite ainsi au maximum les rencontres avec mon voisin, surtout tôt le matin.

Les vieux surconsommateurs de rhum déclenchent des pathologies neurodégénératives qui les détruisent totalement ; ils sont reconnaissables à leur haleine d'alcool, leur maigreur, leur sourire édenté et leur incapacité totale à parler.

Le niveau général d'éducation est plutôt faible et beaucoup ne savent que moyennement lire, écrire et calculer.

Les polycaries et le diabète qui découlent de la malbouffe généralisée, ne sont même plus considérés comme des pathologies tant ils sont fréquents. Les gens vivent bien avec, tant qu'ils n'ont pas mal. Ici, pour une importante frange de la population, ce n'est pas un problème de sourire avec 3 incisives en moins ; c'est tout aussi normal que d'être obèse.

Le manque de culture et de compréhension en général, met du piment dans les relations interculturelles. Les consultations dentaires fourmillent ainsi de cocasses anecdotes qui seraient toujours très drôles si elles n'étaient pas parfois un peu tristes. Il y a quelques années, le médecin de l'île voisine de la Désirade a été violemment pris à parti par la population ; celle-ci l'accusait d'être responsable de l'épidémie d'appendicites qui était en fait due à la pollution du réseau d'eau potable... Les ragots vont bon train et d'incroyables croyances émergent rapidement dans une population aussi impulsive que peu éduquée.

La vie religieuse a une grande importance sur l'île. Chacun son Eglise et plusieurs cultes sont livrés à Marie Galante, jusqu'aux plus troublants. Le vaudou serait courant et de sombres rituels comme des sacrifices animaux auraient lieu régulièrement.

Scène de sacrifice avec offrandes rencontrée à l'entrée de la plage...

 J'arrête de noircir le tableau de cette "dark side" de Marie Galante où la vie est en définitive bien douce pour un séjour de quelques mois !